USA - Réforme de la santé : Allons-nous faire pareil en France ?

Courrier envoyé à l’attention de Mr Patrick Pelloux (ancien président de l'association des médecins urgentistes hospitaliers de France), Le 23 Novembre 2009 avec copie au journal L'Humanité.

Ci-dessous quelques réflexions à la suite de votre article paru dans l’Humanité Dimanche N° 183 concernant la « Réforme de la santé aux USA ».
   
Au plaisir d’en discuter ensemble.

Vous dites : « C’est une révolution culturelle et sociale que lance Obama: avoir un système social et économique au service d'un des principaux enjeux, la santé. »

Cette phrase n’a guère de sens. La révolution culturelle et sociale pour que tous les citoyens américains aient accès aux soins médicaux a été lancée en 1946.

Le Hill-Burton Act, ou Hospital Survey and Construction Act de 1946 (qui tient son nom de ceux qui l’ont promu, les sénateurs Lister Hill , démocrate de l’Alabama et  Harold Burton, républicain de l’Ohio). Cette loi instaura le financement entre 1946 et 1970 de toute l'infrastructure sanitaire américaine (hôpitaux, programmes de santé, épidémiologie, dépistages...) faite pour être accessible à tous les américains. En 1973, Nixon y mit fin pour ouvrir la voie aux tristement célèbres HMO (health maintenance organization), assurances privées qui ont détruit toute cette infrastructure. Tristement célèbres non pas du fait qu’il s’agisse de l’insertion d’intérêts privés dans le système de santé, mais parce que les HMOs ont été privilégiées à partir de l’administration Nixon, exclusivement pour faire du profit, au détriment de la santé des gens. En effet, Un extrait des enregistrements secrets de la Maison Blanche de Nixon a révélé comment le président fut briefé en 1971 par le conseiller présidentiel John D. Ehrlichmann, pour financer  « ces health maintenance organizations comme le truc de Edgar Kaiser’s Permanente [1] ». Ehrlichmann poursuivit, « Edgar Kaiser fait fonctionner son Permanente pour faire du bénéfice. Et la raison pour laquelle il peut… le faire, c’est Edgar Kaiser qui me l’a dit lorsqu’on en a parlé. Toutes les incitations tournent autour de moins de soins médicaux, parce que… au moins ils soignent, au moins ils donnent, au plus ils font d’argent… inciter, c’est ça la solution ».

Aujourd’hui, les 50 plus grosses entreprises de HMO contrôlent 60% du marché du managed health-care. Le top 5 des HMO, selon Fortune, en 2009 sont HealthGroup (81$ milliards de revenus) ; Wellpoint ($61 milliards de revenus) ; Aetna ($31 milliards de revenus) ; Humana ($29 milliards de revenus) et Cigna ($31 milliards de revenus).
Lorsqu’en 1993, Hillary Clinton lança l’initiative d’assurance maladie de la Maison Blanche, qui menaçait simplement de ralentir cette prise de contrôle, sa réforme a été tuée dans l’oeuf. Au cours des années suivantes et jusqu’à aujourd’hui, Medicare (assurance maladie publique pour les personnes âgées) et Medicaid (assurance maladie publique pour les démunis) créés en 65 par cette loi Hill-Burton ont été mis à la merci de intérêts financiers privés des HMO.

Vous dites : « Le défi est à la hauteur de cette grande démocratie et un sacré revers de son histoire: l'argent et les systèmes d'entreprise n'auraient rien à faire dans le système de santé ! »

L’ironie sous-jacente à cette assertion ne supporte pas l’analyse. Il serait paradoxal, allant à l’encontre de la culture américaine que, pour des Américains, l’argent n’ait rien à faire dans le système de santé ?

Faisons à nouveau un bref recul historique. Nous sommes le 5 mars 1933, aux Etats-Unis. Après trois années de faillites bancaires en cascade – comme aujourd’hui - Roosevelt ordonne la « vacance » de toutes les banques à l’échelle nationale. Il met tout le système financier sur « pause » pour empêcher le retrait massif des dépôts dans la précipitation et la panique. Le 9 mars à l’aurore, la « Loi bancaire d’urgence » est élaborée, permettant de faire le tri entre les banques en bonne santé, celles qui ont besoin d’aides et celles insolvables. Le vote au Sénat se termine le même jour à 19h52. Roosevelt y appose sa signature à 20h37. L’ensemble du processus, de la première introduction de la loi à la signature finale, a pris huit heures. Le dimanche 12 mars au soir, Roosevelt s’exprime à la radio pour une audience estimée à 60 millions d’Américains (la moitié de la population des Etats-Unis). Il explique comment « certains de nos banquiers (…) ont utilisé l’argent qu’on leur avait confié pour des spéculations ». Le lundi matin les banques rouvrent. Ce jour-là et les suivants, les citoyens américains déposèrent plus d’argent dans les banques qu’ils n’en retirèrent : la confiance en la politique était rétablie. Tout ce processus avait commencé par une Commission d’enquête parlementaire dite « Pecora », du nom du procureur – Ferdinand Pecora - qui la dirigea.

En Bref :

Roosevelt : à peine arrivé au pouvoir, fait tomber les intérêts qui ont causé la Grande Dépression des années 30. Plus tard, en 1944, il instaurera le système monétaire de Bretton Woods, assurant un système de taux de change fixe entre les monnaies, permettant la mise en route de grands projets d’infrastructure. C’est Nixon qui, en août 1971, achèvera de détruire le système de Bretton Woods, ouvrant grand la voie à la spéculation. Deux ans plus tard, il développait le système des HMOs, assurances de santé privé qui sont au cœur du problème de la réforme de la santé d’Obama.

Obama : à peine arrivé au pouvoir, sert les intérêts de Wall Street. Selon le responsable du TARP (plans de renflouements), Obama a versé 27.000 milliards de dollars à Wall Street. Le problème n’est pas l’argent versé, c’est de savoir où il va. Et sans l’application des standards Glass-Steagall, cet argent est allé dans un puits sans fond. Et ce n’est qu’après avoir renfloué les spéculateurs qu’Obama lance sa réforme de la santé. Roosevelt n’a pas attendu 48 heures pour s’attaquer aux spéculateurs. Obama a attendu 8 mois pour « s’occuper » de la population. Cela devrait faire réfléchir.

Vous dites : « Pour sûr, si cette réforme passe, ce sera une avancée considérable dans la réflexion sur les systèmes économiques et une défaite pour les assureurs et cliniques privées qui se gavent de pognon sur les malheurs et les peurs des malades. »

Politiquement : Pour appliquer ces méthodes et garantir les coupes budgétaires prévues dans la réforme de la santé, la Maison Blanche a fait de la création d’un Comité indépendant d’experts médicaux (IMAC) l’enjeu essentiel de sa réforme. Le 22 juillet dernier, lors de sa conférence de presse télévisée, Obama a appelé à cinq reprises à l’établissement d’un tel comité. Si Obama est désormais obligé de dire et répéter qu’il n’y en aura pas, il en a pourtant reconnu et souhaité la vertu anti-démocratique : « Les malades chroniques et les patients en fin de vie sont potentiellement responsables de 80% des dépenses de santé (…) Il y aura un débat démocratique très difficile. Il est très difficile d’imaginer que le pays puisse prendre ce type de décision par les voies politiques normales (c’est moi qui souligne). C’est pourquoi il faut avoir des groupes indépendants qui puissent nous guider », a-t-il déclaré le 3 mai dans le New York Times. Début août, 75 députés des deux partis ont écrit à la présidente de la Chambre pour lui signifier que le projet IMAC était inacceptable et conduirait à la mort du projet de loi.

Financièrement : Le 4 août, Le Los Angeles Times a révélé les accords secrets entre la Maison Blanche et les géants pharmaceutiques et compagnies d’assurance maladie privées, qui ont mis la gauche du Parti démocrate en colère, après huit années de ce corporatisme. La nature de ces accords conclus entre février et juin, après vingt-sept réunions secrètes entre le cabinet d’Obama et ces lobbies : plafonner à 80 milliards de dollars sur 10 ans les économies réalisées sur les dépenses de médicaments (alors que dans le même temps, le lobby pharmaceutique en vendra pour 3600 milliards de dollars) tout en refusant à Medicare le droit de négocier les prix ; et la garantie donnée aux assureurs qu’ils continueront à toucher au moins 25% du coût total de la facturation pour leurs « frais administratifs ». En retour, l’organisme qui fédère les compagnies pharmaceutiques, PhRMA, s’est engagé à financer pour 150 millions de dollars de spots publicitaires pro-réforme.

Humainement : L’article 1233 du projet de loi, intitulé « Consultation pour la planification des soins anticipés », promet aux plus de 65 ans couverts par Medicare (souvent les plus pauvres et les plus malades), ainsi qu’aux malades chroniques, une visite médicale quinquennale remboursée pour se faire expliquer les procédures de fin de vie et les inciter à signer une déclaration de refus de soins.


[1] Kaiser Permanente est une HMO basée à Oakland, California, et fondée en 1945 par l’industriel Henry Kaiser et le médecin Sidney Garfield. Kaiser Permanente est un consortium de trois groupes et entités distinctes : la Kaiser Foundation Health Plan et ses entités subsidiaires, Kaiser Foundation Hospitals, et le Permanente Medical Groups autonome et permanent. Kaiser Permanente représentait en 2006 1 milliard 300 millions de revenu net.

Serait-il possible et acceptable pour un grand journal tel que L’Humanité d’apporter ces précisions à la suite de votre article ? Comme vous avez pu le découvrir, non seulement il est possible d’offrir à tous les américains bien plus qu’une simple couverture de santé, mais cela a déjà été fait, de 1946 à 1970. Ce qui est sous-jacent à cette réforme Hill-Burton, c’est le système économique qui a été mis en place à la Conférence de Bretton Woods de 1944. Cette Conférence a vu s’opposer Franklin Delano Roosevelt à John Maynard Keynes, qui représentaient chacun deux conceptions irréconciliables de l’être humain : progrès contre esclavagisme.

En économie, cela s’est traduit par la mise en place du crédit productif public aux Etats-Unis (inscrit dans la Constitution des Etats-Unis) au lieu d’un système monétaire de type impérialiste. Hélas, en 1971, Nixon y mit fin. Il n’en tient qu’à des journaux comme L’Humanité de faire revivre l’esprit de Roosevelt, et d’enterrer celui de Keynes.

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